Il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouveau projet de montres se lance sur les plateformes de financement participatif. Un temps réservé aux jeunes pousses désireuses de percer, le crowdfunding concerne désormais aussi les maisons horlogères établies de longue date. Alors, simple phénomène de mode ou d’une vraie transformation du secteur ? Essayons de comprendre !
Popularisé par des plateformes comme Kickstarter et Indiegogo aux Etats-Unis ou Kisskissbankbank et Ulule en France, le financement participatif repose sur un fonctionnement plutôt simple. Un porteur de projet présente l’idée qu’il aimerait mener à terme, définit le calendrier de son développement et prépare un certain nombre de contreparties auxquelles peuvent accéder les internautes en échange d’une participation financière.
Dans les débuts, le crowdfunding était vraiment perçu comme un investissement, c’est-à-dire comme de l’argent confié pour soutenir le développement d’un projet ambitieux, mais hasardeux. Aujourd’hui, il est devenu dans la plupart des cas une forme de réservation sur catalogue pour des produits qui sont souvent déjà conçus mais dont la production n’a pas démarré. D’une logique de financement sans garantie de retour sur investissement, on est passé à une mécanique de validation a priori de la fiabilité financière d’un projet.
Crowdfunding, l’eldorado pour les nouvelles marques de montre
Les Kickstarter et consorts sont donc devenus le terrain de jeu de nouvelles marques désireuses de se lancer sur le marché à peu de frais. Une idée, un concept, quelques prototypes et une liste de fournisseurs suffisent en théorie à monter un projet de financement participatif. Principal avantage par rapport aux modèles traditionnels : on peut se lancer sans moyens préalables.
Revenons quelques années en arrière. Pour lancer une nouvelle marque de montre, vous aviez besoin d’un concept, de maquettes, de prototypes, de fournisseurs… et d’argent. Difficile de demander une avance à ses distributeurs quand on n’a pas encore de stock à proposer : il était donc indispensable de trouver les moyens financiers pour réaliser ses premiers cycles de production, que ce soit par levée de fonds, emprunt bancaire ou apport personnel.
Risque limité, prévisions facilitées, visibilité augmentée
En permettant de vendre avant d’avoir produit, le financement participatif a inversé ce fonctionnement, et offert une certaine tolérance à l’échec : une campagne qui n’aboutit pas compromet le projet mais ne laisse pas son fondateur sur la paille…
Les jeunes loups aux dents longues de l’horlogerie ne s’y sont pas trompés. Depuis 2015, on a donc vu fleurir les projets de montres bracelets sur Kickstarter et les plateformes concurrentes. Dans le lot, certains projets ont connu des réussites fulgurantes. On pense par exemple à la campagne menée par les deux créateurs de la marque Filippo Loreti. La promesse : une montre de qualité à prix cassé. Fin 2016, 18 500 contributeurs ont engagé plus de 4,8 millions d’euros pour précommander ces montres vendues aux alentours de 200 euros.
Tous les projets ne connaissent bien évidemment pas un tel destin : dans l’univers des montres, les porteurs recherchent généralement quelques dizaines de milliers d’euros de précommandes : de quoi finaliser le design et lancer la production des premières séries.
C’est l’un des autres grands avantages du crowdfunding : le succès (ou l’absence de succès) de la campagne offre une forme de visibilité sur les volumes qui devront être produits. Quand la campagne s’emballe, les porteurs de projet accèdent à de nouveaux leviers de négociation avec leurs fournisseurs : vous ne paierez pas le même prix selon que vous acheter vos mouvements automatiques par cent, par mille ou par dizaines de milliers.
La campagne ne sert ainsi pas qu’à recueillir des fonds : elle tient également lieu d’étude de marché, de prévisionnel de vente… et de levier marketing ! La visibilité fait en effet partie des bénéfices collatéraux au crowdfunding. La multiplication des projets a réduit le potentiel en termes de relations presse, mais la présence sur les grandes plateformes offre une possibilité de retentissement à l’international qui serait inaccessible à un créateur isolé sans moyens importants.
De quoi faire venir les acteurs historiques
L’attrait de ces logiques n’a évidemment pas échappé aux maisons horlogères traditionnelles, et si les marques les plus en vue n’ont probablement pas besoin du crowdfunding pour maintenir leur croissance, d’autres ont saisi la balle au bond pour lancer des projets ponctuels ou tout bonnement se relancer.
En 2017, l’exemple le plus probant nous est sans doute venu de la vénérable maison suisse ZRC avec sa campagne North Adventure qui combinait mise en vente d’un modèle inédit en série limitée et participation au financement d’une campagne d’exploration scientifique et environnementale au pôle Nord. Cette campagne réussie a permis à ZRC d’engranger près de 500 000 euros auprès de 300 acheteurs tout en réalisant une très belle opération de communication.
Le buzz avant tout ?
Reste à savoir quel est l’ingrédient miraculeux qui fait que certaines campagnes explosent alors que porteurs de projet restent voués à l’anonymat ? Le panorama des projets qui réussissent confirme qu’il n’est pas uniquement question de savoir-faire horloger, mais aussi et surtout de marketing.
Le français Guillaume Laidet et sa marque William L 1985 en témoignent : un design agréable et une belle histoire bien racontée suffisent parfois à se lancer, même si sa première montre fabriquée en Chine à bas coût ne présentait aucune qualité technique particulière. Tout l’enjeu pour le jeune homme consiste d’ailleurs maintenant à transformer ce premier essai avec des modèles plus qualitatifs. Il en va de même pour tous ceux qui ont réussi un « coup » grâce au financement participatif : s’inscrire dans la durée constitue le véritable défi.
C’est pourquoi si certains puristes reprochent parfois au crowdfunding sa capacité à faire émerger des projets dont les qualités intrinsèques ne justifiaient pas forcément une telle exposition, nous préfèrerons retenir qu’il s’agit d’un levier susceptible de dynamiser le marché de la montre sans nécessairement en bouleverser les traditions !